jeudi 13 novembre 2008

ENTRAINEMENT D’UN AIGLE EN AVANT SAISON

 

L’aigle royal est mon oiseau préféré et tout le monde le sait. En 1972, j’achète mon premier oiseau, un aigle royal, chez Sensen, un marchand allemand. A cette époque, aucune restriction n’est en vigueur et cette pratique est courante. Cet oiseau provient d’une capture de Russie ; ARA, c’est le nom que je lui donne le jour même est un oiseau jeune, vraisemblablement de l’année, que je détermine comme appartenant à la sous espèce « daphanea ». Elle est superbe et mue en quelques jours toutes ses primaires, ce qui me fait grand peur. Je la mets dans une cave chez un ami et elle mue parfaitement en quelques semaines. Je l’ai portée tant d’heures que je ne peux pas même le définir. Je quitte la caserne pour aller rejoindre Paul mon maître fauconnier chaque jour vers 6 heures du soir et nous passons la soirée, aigle au poing, jusqu’à point d’heure comme on dit maintenant en Vendée. Cet oiseau devient mon compagnon pendant dix années. Certain peuvent se rappeler ma présence à Fleury en Bière avec Ara : j’ai volé tant de lièvres sans un prendre un seul que je me suis toujours demandé comment on pouvait continuer à voler cet oiseau « inutile ». Deux ans ou trois plus tard, à Rosay en brie, je gagne le prix de bas vol avec deux lièvres pris de belle manière. Ma passion se forge de jour en jour sans grand résultats ; déjà, à l’époque, les réunions en Allemagne me permettent de voir des oiseaux de très bonne qualité ; Doris Kurringer vole un tiecelet canadien avec une force étonnante. Ara reste très moyenne mais elle prend un lièvre par réunion.

Quelques années plus tard, je vole Oscar, un aigle mâle, et je l’entraine très différemment ; je fais des réclames très long avec Christian d’un côté à l’autre de la montagne. Puis nous volons un renard tracté par une moto ou une voiture sur un chemin de terre. Ce travail m’a permis de voir évoluer de façon très nette la force et la détermination de l’aigle. Quelques années plus tard, Oscar prend place en volière et maintenant il se reproduit chaque année.

Voilà quinze ans maintenant que je connais Joseph Hiebeler, maître fauconnier autrichien. Cet homme de 59 ans est sans aucun doute un maitre dans l’art et la manière de mener les aigles (et les autres oiseaux aussi). Petit, râblé, nerveux, il est toujours actif de cinq heures du matin à onze heures du soir. Il dirige deux espaces de fauconnerie présentant au public l’histoire de notre art. Pour moi, c’est la Mecque de la Fauconnerie. Son sens de la perfection, son côté méticuleux, en ont fait un homme de fort caractère. Monika, son épouse, vient d’être nommée maître fauconnier au sein du club des fauconniers autrichiens, ce qui en fait un couple tout à fait unique. Elle vole les aigles comme lui sans craindre les coups. En effet, un aigle n’est pas toujours très sympathique, surtout au début. Il faut dominer cette « violence » sans la craindre. Souvent, j’entends dire : j’ai un aigle depuis deux ans et je ne peux plus le manipuler, il est si agressif à son bloc que je ne peux plus l’approcher. Ceci est tout à fait normal ; l’aigle a besoin de changer de place, de ne jamais être au même endroit, de ne pas s’habituer à devenir le « maître ». Il faut toujours le surprendre, avec un changement de bloc, le passer en perche Kazack, le descendre au bain, le mettre au trolley… Tous ces mouvements concourent à affaiblir l’agressivité dans l’environnement où il peut prendre la main en permettant de conserver celle dont on a besoin pour la chasse. Le courage d’un aigle augmente avec l’âge et, si on n’y prend pas garde, son agressivité aussi. Il faut donc canaliser et augmenter son courage en diminuant son agressivité. L’entrainement va de même ; il faut toujours surprendre l’oiseau : un jour une promenade de quelques kilomètres en forêt le détendra ; le lendemain le premier réclame sera le dernier ; le jour suivant il aura 80 réclames avec de petites récompenses, et ainsi de suite. On parvient quelque fois à se surprendre soi même, c’est la meilleure leçon à lui donner. Il faut aussi savoir s’arrêter : si la condition supposée de l’oiseau avant la séance est bonne et, qu’en cours de route, son comportement change, il est quelque fois préférable de tout stopper. On reprendra demain. Avec un aigle il faut être patient ; il faut quatre à cinq années pour faire un oiseau performant, on a donc beaucoup de temps.

Joseph sort ses aigles fin aout ; généralement ils sont complètement mués. Il les places dans une volière assez petite et fort éclairée, soit par le soleil (sous un toit avec des velux) soit artificiellement. Il arrête ses oiseaux début janvier (en Autriche, la chasse ferme le 1er janvier) ainsi il gagne beaucoup de temps sur la mue. En France, nous chassons plus longtemps, ce qui empêche la plupart du temps, une mue complète. Les aigles peuvent muer sur deux ans voire plus. La détention à ce moment, est importante pour garder un plumage le plus parfait possible ; un « chiffon » vole très mal…Le jour de la sortie, l’oiseau est armé, placé de suite en perche kazack. Cela peut sembler brutal, mais il faut entrainer déjà l’oiseau tant qu’il est le plus fort. Le choc ou stress de sortie ne dure pas et la perche kazack le garde près de son fauconnier. L’aigle se souvient de tout, l’acquis est très important. Quelques jours plus tard, l’appétit vient doucement (cela dépend du nourrissage en fin de mue). L’oiseau mange rapidement au poing mais Joseph ne porte que très peu ses oiseaux. Je me souviens que Jacques Renaud me disait : on ne peut embêter un oiseau que quand il le désire. J’ai mis dix ans à comprendre cette boutade mais elle est très importante ; je vois des gens porter leur oiseau des heures et des jours sans pour autant avoir le moindre résultat. Si un oiseau à « peur », il ne faut pas le porter. La méthode forte peut quelque fois fonctionner mais le plus souvent, elle échoue. Il faut attendre le moment où l’oiseau a décidé de nous offrir sa confiance, alors les progrès sont considérables.

Quelques semaines plus tard, quand la condition de l’oiseau s’approche de son poids de chasse, les réclames au bloc sont systématisés mais sans excès. Les séances de leurre commencent et l’oiseau se rappelle de l’année précédente et attaque spontanément. Le leurre est un traineau assez volumineux pour empêcher de prendre l’habitude d’attaquer des proies trop petites. Il est de préférence tiré par un cavalier expérimenté qui saura lâcher quand il faut. Là encore, il faut essayer de surprendre notre oiseau : l’attaque peut être d’en haut, d’en bas, très courte, très longue, avec des passages d’eau, etc… La surprise rendra l’aigle de plus en plus attentif à l’ouverture du chaperon. En Vendée, je travaille avec deux fauconniers qui sont en voiture avec moi ; le premier conduit, le deuxième est derrière et fait le travail de trainer. Sarembaï s’est très vite mis au traineau ; la première année, il faut « mettre du muscle » sur un squelette qui demandera deux ans avant d’être bien terminé. Nous changeons de place régulièrement pour que Sarembaï ne s’habitue pas trop au terrain. Les attaques courtes n’en sont pas moins violentes ; l’oiseau donne tout ce qu’il a de force dans les premiers coups d’ailes, il faut être à côté de moi pour comprendre toute la fougue qu’il y a au décollage… Cet exercice ne prend que quelques minutes : cela ne veut pas dire qu’il faille continuer. Le cœur d’un oiseau est puissant mais fragile : j’ai vu un oiseau peu entrainé s’épuiser totalement sur un vol de cent mètres et risquer de perdre la vie car son maitre voulais lui infliger un autre vol. La raison du second a sauvé le premier… Lors de la sortie de mue, l’oiseau manque de souffle, on va donc lui faire attaquer des proies courtes (vol rapides mais très courts, quelques dizaines de mètres jusqu’à cent mètres). J’oublie quelque chose d’important : la taille du traineau. Il faut que la peau trainée soit assez grande pour que l’aigle ait le courage d’une grande proie. IL faut éviter les ressemblances avec des lapins ou des chiens. Les accidents qui peuvent survenir ensuite sont connus… Les vols longs qui suivront quelques semaines après permettront de bien se rendre compte des progrès de votre oiseau.

Cette méthode qui ne prend pas du tout en compte les promenades suitées, les vols d’amont (toujours risqués et même dangereux avec un aigle par manque de contrôle), permet d’avoir un oiseau physiquement prêt au moment voulu.

Il arrive aussi quelque fois que votre oiseau perde le moral ; la réunion d’où vous venez s’est mal passée, le temps était exécrable, le vent a perturbé les vols, ou la chance n’était pas pour vous. Alors Joseph déclenche une séance de motivation : juste avant la nuit, en rentrant le jour même du défaut, il téléphone à un de ses adjoints de descendre à la plaine d’entrainement avec le nombre de lapins de clapier qu’il faut. L’aigle doit prendre à tout pris et être nourrit sur du chaud de façon à faire oublier cette mauvaise journée. Ceci est aussi un bon moyen de baisser le niveau de mauvaise agressivité de votre oiseau.

J’ai affaîté Sarembaï avec cette méthode ; j’en ai fait un aigle gentil, intelligent et vif. Sa technique sur la prise est précise et son inventivité lui a permis de prendre des lièvres que d’ordinaire je n’aurais jamais volés. Ce petit aigle plein de malice m’a procuré cette saison énormément de satisfactions. Il est en mue et jette correctement, malgré tout, je ne crois pas qu’il termine sa mue cette année. J’attends la saison de chasse avec impatience pour cette fois aller voir d’autres territoires plus au nord , et rejoindre Ronnie, Roy, Neal et ses amis aigliers dans les moors écossais pour traquer le blue hare (lièvre variable)

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